Au Sénégal, certaines femmes introduisent une poudre dans leur vagin – souvent appelée « tabac » – censée leur procurer du plaisir ou soulager leurs douleurs, comme elles l’affirment. Problème : cette poudre est fabriquée et vendue dans la clandestinité, sans aucun contrôle. D’où de nombreuses interrogations concernant son impact sur la santé des utilisatrices, qui seraient de plus en plus nombreuses.
C’est un habitant de la région de Sédhiou, dans le sud-ouest du Sénégal, qui a contacté la rédaction des Observateurs de France 24 au sujet de cette poudre, utilisée par certaines femmes dans la zone « afin de satisfaire leurs désirs sur le plan sexuel et de soulager leurs douleurs », lorsqu’elles sont seules. Selon lui, cette poudre serait très appréciée, au point de constituer une « drogue » pour certaines d’entre elles.
Afin d’en savoir davantage sur ses effets, France 24 a contacté dans cette région deux femmes qui l’utilisent régulièrement.
« La première fois que j’ai mis cette poudre dans mon vagin, ça m’a donné le vertige et fait vomir »
?
Rosa M. (pseudonyme) est âgée de 42 ans :
J’ai entendu parler de cette poudre pour la première fois il y a six ans : une femme nous avait raconté qu’elle l’avait mise dans son vagin pour soulager ses maux de tête et que ça avait fonctionné.
Quelques mois plus tard, je l’ai essayée à mon tour, par curiosité. On m’a conseillé de l’appliquer sur une blessure que j’avais au pied, et elle a disparu cinq jours plus tard.
Une autre fois, on m’a dit de mettre la poudre directement dans mon vagin, car j’étais très fatiguée. C’est ce que j’ai fait, mais ça m’a donné le vertige et fait vomir. Au bout de 30 minutes de souffrances, je me suis finalement rincée le vagin avec de l’eau et j’ai retrouvé la forme. Mais le lendemain, j’ai quand même eu des boutons à cet endroit.
Désormais, je continue de l’utiliser pour atténuer la douleur, quand je suis souffrante, mais je ne le mets plus du tout dans le vagin, même si c’est comme ça qu’on l’utilise habituellement.
Actuellement, beaucoup de femmes utilisent cette poudre, alors qu’avant, c’était plutôt celles dont les maris voyageaient… Certaines l’utilisent par habitude, car elles en ont besoin pour se sentir bien : c’est comme la cigarette.
La plupart des utilisatrices appliquent une pincée de poudre sur la paroi de leur vagin pour en ressentir les effets. Photo prise par Rosa M..
« Quand j’utilise cette poudre, j’ai l’impression d’être ivre »
Cynthia R.
Cynthia R. (pseudonyme) est âgée de 40 ans. Elle se sert également de ce « tabac » pour soigner des blessures ou soulager des douleurs, et ajoute :
Quand je l’utilise, c’est agréable car j’ai l’impression d’être ivre. Puis je m’endors au bout d’une trentaine de minutes. Et au réveil, je me sens bien.
Par contre, la première fois que je l’ai mise dans mon vagin, j’ai eu la diarrhée et des vomissements toute la journée. Je pense que ça arrive lorsque l’on n’est pas habituée…
Sentiment d’ivresse, soulagement des douleurs, mais également vertiges, vomissements, diarrhées et boutons : la poudre semble avoir des effets très variables. Aucune de ces utilisatrices n’indique en tout cas ressentir de plaisir sexuel en l’introduisant dans le vagin, comme cela semble être le cas de certaines femmes. « Au bout de 15 minutes, l’appétit sexuel envahit tout le corps de la femme qui commence à jouir, comme si elle était en pleine chevauchée avec un homme », assure ainsi un article du quotidien Le Populaire.
Une poudre vendue essentiellement à la frontière avec la Guinée-Bissau
Nos deux utilisatrices ont indiqué acheter des petits sachets de poudre coûtant 100 francs CFA (soit 0,15 centimes d’euro). Un achat réalisé dans la clandestinité – au domicile de certaines femmes par exemple – dans la mesure où le produit n’est pas formellement autorisé par les autorités, sans être interdit pour autant.
La poudre est vendue dans des petits sachets. Les trois premières photos ont été prises par Rosa M. et la quatrième par Seydou Tamba Cisse.
Selon elles, certaines personnes vont chercher la poudre à Kandiénou – un village proche de Tanaff et de la frontière avec la Guinée-Bissau – avant de la revendre plus cher ailleurs. De fait, c’est notamment à Kandiénou que la poudre est fabriquée, selon plusieurs habitants.
Bakary Konte, journaliste à Sédhiou, le chef-lieu de la région, précise :
Elle est produite dans différents villages, des deux côtés de la frontière. Puis des femmes l’achètent pour la revendre dans des villes comme Sédhiou et Ziguinchor [à une centaine de kilomètres à l’ouest de Sédhiou, NDLR], voire même à Dakar.
Bien que cette poudre semble consommée essentiellement dans le sud-ouest du pays, son utilisation se développerait en effet dans la capitale, comme l’indique l’article du quotidien Le Populaire. Elle y serait toutefois vendue bien plus cher.
L’utilisation de cette poudre se développerait au Sénégal. Photo prise par Rosa M..
Une composition opaque
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Plusieurs habitants de la région de Sédhiou ont indiqué à France 24 qu’ils ignoraient totalement la composition de cette poudre, à l’image de Cynthia R.. On peut supposer qu’elle varie selon les endroits, dans la mesure où sa fabrication n’est contrôlée par aucun organisme et que ses effets varient selon les utilisatrices. Seule certitude : des feuilles de tabac sont utilisées, de même que d’autres produits naturels (racines, feuilles…).
Selon le journaliste Bakary Konte, les racines d’un arbre appelé « tangora » seraient ainsi séchées, avant d’être réduites en poudre et grillées dans une marmite, de même que le tabac, ce qui permettrait d’obtenir le produit. Un autre habitant de Sédhiou, Ousmane Demba – qui assure avoir déjà vu une femme fabriquer la poudre – évoque quant à lui l’utilisation des coques du fruit du baobab, d’un produit semblable à l’huile de karité et d’un produit chimique. Un autre encore évoque des produits chimiques, servant généralement à fabriquer les savons traditionnels, telle que la soude.
« Cette poudre est toxique, les femmes risquent de contracter un cancer du col de l’utérus »
?
Eva B.
Quelle que soit la composition de cette poudre, elle inquiète les personnes impliquées dans le secteur de la santé. Eva B. (pseudonyme), une gynécologue sénégalaise, indique :
J’ai découvert cette poudre en examinant une femme originaire de Guinée-Bissau, en octobre 2015. Depuis cette date, d’autres patientes m’ont confié l’avoir utilisée : toutes ont des infections urinaires ou génitales. Certaines ont des sortes de plaies sur la vulve, puisque c’est un produit toxique qui brûle et provoque des démangeaisons. En revanche, les vomissements, les vertiges et les diarrhées ne concernent pas toutes les utilisatrices. Quoi qu’il en soit, toutes ces femmes mettent leur vie en danger.
Par exemple, elles risquent de contracter un cancer du col de l’utérus.
Ce qui m’inquiète, c’est que même si je leur dis ça, elles continuent généralement de l’utiliser. [Plusieurs personnes contactées par France 24 ont évoqué les risques de dépendance associés à ce produit, estimant notamment qu’il était « possible que les femmes ne puissent plus avoir de plaisir sur le plan sexuel sans l’utiliser », NDLR.]
Je ne vois même pas quels peuvent être les effets positifs d’un tel produit. Aucune patiente ne m’a jamais dit qu’il l’aidait à soulager ses douleurs. Et je me demande comment il pourrait leur permettre de prendre du plaisir…
Afin d’en savoir plus sur la composition de cette poudre, nous avons récemment envoyé des échantillons à l’Institut Pasteur de Dakar. Nous attendons les résultats des examens…
Filmée par le journaliste Bakary Konte, cette femme de Sédhiou, qui a utilisé la poudre dans le passé, évoque ses effets néfastes : risque de cancer du col de l’utérus, addiction, disparition de l’envie d’avoir des rapports sexuels avec un homme… Elle revient également sur la croyance selon laquelle ce produit permettait de résoudre les problèmes d’infertilité, en conseillant aux femmes d’aller plutôt voir un médecin pour y remédier.
Des « noms de code » pour désigner cette poudre
Les deux utilisatrices contactées par France 24 n’ont jamais évoqué cette poudre avec leur mari. « Je m’en sers toujours en cachette », confie Cynthia R., même si elle assure qu’elle en parle librement avec d’autres femmes. Pour que leurs maris ne comprennent pas de quoi elles parlent, elles utilisent donc des « noms de codes » pour désigner cette poudre : « kandiénou » (du nom de l’un des villages où elle est fabriquée), « comprimé », « boisson », « lait », « secret »…
« L’utilisation de cette poudre en cachette révèle le peu de confiance qui peut exister dans certains couples. Certaines femmes ne sont pas satisfaites au niveau sexuel donc elles utilisent ça, plutôt que d’en parler à leur mari », regrette Aminatou Sar, une Dakaroise travaillant au sein de la Reproduction Health Supplies Coalition et se définissant comme « féministe ». « Cela dit, si cette poudre leur permet de prendre du plaisir toutes seules, tant mieux, puisque les produits aphrodisiaques cherchent généralement à satisfaire l’homme avant tout », ajoute-t-elle.
Cette enquête a été réalisée avec l’aide de Seydou Tamba Cisse, El Hadji Kande, Bakary Konte et Ousmane Demba.
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