De violents tremblements de terre ont secoué la Turquie, lundi dernier, 6 février, et fait plus de 10 000 morts. Arrivé en prêt au mois de septembre dernier, quelques mois avant la Coupe du Monde (20 novembre – 18 décembre) 2022, à Hatayspor, l’international camerounais âgé de 24 ans, Kévin Soni est un miraculé. Le joueur, toujours sous le choc, confie à Footmercato ce qui l’a sauvé. Entretien !!!
Foot Mercato : Kévin, on a avant tout envie de vous demander comment allez-vous ?
Kévin Soni : ça va… Franchement, c’est une épreuve que je n’avais jamais vécue auparavant. C’est vraiment quelque chose qu’on ne prévoit pas et qui vous marque à vie. On dit souvent que dans la vie on ne sait jamais. Je peux vous dire que j’ai vraiment vu pourquoi on dit qu’on ne sait jamais il y a quelques jours. Sur le coup, je me suis dit c’est la fin du monde et la fin tout court. J’ai vu des gens mourir à côté de moi. Je suis traumatisé. Aujourd’hui, je réalise que la vie ne tient qu’à un fil. C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte que tout est vanité. Tout le monde abandonne sa maison, ses voitures, et cherche un endroit où se réfugier. C’était vraiment une situation digne d’un film sur Netflix sauf que c’était la réalité malheureusement. C’est le truc qui m’a le plus choqué depuis que j’ai commencé à jouer au football et dans ma vie. Je n’aurais jamais pensé vivre quelque chose comme ça.
FM : vous êtes arrivé à Hatayspor cette saison, comment cela se passait-il jusqu’à présent pour vous ?
KS : je suis arrivé au mois de septembre, quelques mois avant la Coupe du Monde. J’avais pour objectif de faire une saison en prêt ici. Ensuite, soit je renouvelais mon contrat avec Hatayspor, soit j’allais dans un autre club. Je me suis blessé à la cuisse lors de mon premier match. On m’a opéré deux jours après. Trois mois plus tard, je suis revenu à la compétition mais j’ai rechuté. J’ai été blessé au pied. Je suis resté un mois out et je suis revenu dimanche soir lors de notre match face à Kasimpasa (victoire 1 à 0).
FM : et tout a basculé quelques heures plus tard…
KS : je suis rentré chez moi après le match. J’étais posé avec mes cousins et on jouait à PlayStation. Vers 4 ou 5 heures du matin, le sol a commencé à trembler. Sur le coup, j’ai dit à mes cousins de se calmer. C’est quand le plafond et les murs ont commencé à tomber sur nous qu’on a commencé à prendre la fuite par les escaliers. On a juste eu le temps de prendre nos passeports et nos téléphones, je ne sais même pas comment j’ai fait pour y penser. On a eu la chance de sortir de l’immeuble avant que tout s’écroule (…) C’est un jour où vraiment tout a basculé. Il y a eu beaucoup de morts. Si vous m’aviez dit ça une semaine avant, je vous aurais dit que c’était impossible…
FM : avez-vous senti rapidement que cet évènement serait tragique ?
KS : sur le coup, je n’avais pas forcément capté. C’est la première fois que j’ai vécu une telle chose. J’ai senti la terre trembler et je me suis dit qu’il devait y avoir un vent violent dehors. Mais c’est quand j’ai vu que les secousses étaient vraiment puissantes et que le sol a commencé à se fendre en deux, je me suis dit que c’était vraiment sérieux. Au début, je voulais sauter par la fenêtre. Mais on était vraiment haut, au septième étage. Je me suis dit si je saute là, je vais me casser le pied et je ne jouerai plus au football. Donc j’ai pris les escaliers et j’ai foncé pour sortir.
FM : avez-vous craint pour votre vie ou celles de vos proches ?
KS : oui, c’est clair. Quand vous voyez des gens mourir à côté de vous, vous vous dites que vous allez être le prochain. L’immeuble était en train de tomber sur nous. On a vraiment eu de la chance car on est sorti un peu avant qu’il s’effondre. Je me suis dit qu’on s’en était bien sorti. Mais une fois dehors, on a vu le bâtiment s’écrouler et devenir poussière. Il n’y avait plus rien. Ensuite, j’ai vu le sol se fendre en deux. Je me suis dit que si on arrivait à sortir de cette ville, c’est parce que Dieu l’avait voulu. Le sol pouvait se fissurer à tout moment. Et ça a été le cas, la route s’est ouverte en deux. Je ne savais pas ce qu’il y avait dans les profondeurs de la terre. Ce jour-là, j’ai vu ce qu’il y avait en bas. C’est tout noir, il n’y a rien en bas. Je ne sais pas ce que c’est mais c’est tout noir.
FM : vous sentez-vous miraculé ?
KS : oui. Mais je me suis dit que si je n’y suis pas passé ce jour-là, c’est que ce n’était pas mon jour. Je suis musulman et je suis très croyant. Ce qui m’a sauvé, c’est que j’ai voulu attendre jusqu’à 6h40 afin de faire la première prière de la journée. C’est pour cette raison que je ne dormais pas. Donc je me dis que si j’avais dormi, vu comment tout est tombé dans la maison, je serais certainement mort. C’est sûr même. Les pierres qui sont tombées étaient énormes. C’était un immeuble de dix-sept étages, imaginez. Donc si j’avais dormi, je pense que je serais mort.
Un homme marqué à vie
FM : pouvez-vous nous raconter cette journée de lundi, marquée par plusieurs tremblements de terre en Turquie ainsi qu’en Syrie ?
KS : c’était chaud ! Après les événements, j’ai pris ma voiture pour me rendre aussi vite que possible au centre d’entraînement du club. Les joueurs y sont allés afin de se confiner. On était posés en train de parler et d’essayer de manger quelque chose mais le sol continuait à trembler. Toutes les dix minutes, il y avait d’énormes secousses. Pendant deux jours, on n’a pas mangé. On n’avait que de l’eau. On avait des fruits de temps en temps mais il y avait des femmes et des enfants, avec mes coéquipiers on leur a laissé ces denrées. On ne mangeait pas et on essayait d’aller chercher de l’eau afin que les femmes et les enfants puissent boire. Un avion est venu nous chercher dans la ville d’à côté. On a tout laissé là-bas. L’important était d’être en sécurité, le matériel n’est que vanité.
FM : cela a dû être éprouvant pour vos proches, qui ont tenté de vous joindre.
KS : tout le monde a essayé de nous joindre avec mes cousins, mais personne n’a réussi. Il n’y avait pas de réseau, pas d’eau. Plus rien. Les gens se battaient dans les supermarchés pour récupérer de la nourriture, à boire. Il n’y avait pas d’essence non plus (…) Quand j’ai eu ma mère, c’était un soulagement pour elle car je suis fils unique. Elle ne dormait plus. Ma mère est traumatisée, elle ne veut plus entendre parler de foot. Elle m’a dit de rester auprès d’elle, mais j’ai un contrat à respecter.
FM : plusieurs membres du club n’ont pas eu votre chance et sont toujours portés disparus, à l’image de Christian Atsu.
KS : j’ai la chair de poule en vous parlant. Avant que ça arrive, je parlais avec Christian Atsu au téléphone. Il avait marqué un coup-franc dimanche et je lui disais qu’il avait bien joué et que j’avais bien aimé son match. Je lui disais que j’espérais vite retrouver les terrains pour qu’on joue ensemble. Mais je ne savais pas que c’était la dernière fois que je parlais avec lui. Deux heures après, je n’avais plus de nouvelles. On m’a dit que mon ami était peut-être mort, il y a de quoi devenir fou. Je suis certainement la dernière personne à avoir parlé avec lui au téléphone. Je ne suis pas fier de dire ça, j’espère vraiment qu’on va le retrouver sain et sauf. C’est mon souhait. Je prie tous les jours pour ça.
FM : certains médias ont pourtant dit qu’il avait été retrouvé. Avez-vous eu des nouvelles ?
KS : ce sont des mensonges. Mardi soir, on a pris l’avion pour rentrer à Istanbul et il n’était pas avec nous. S’il avait été retrouvé, pourquoi n’était-il pas dans l’avion ? Ce sont des mensonges. Ils ont peut-être dit ça pour entretenir l’espoir et ne pas effrayer sa famille. Ce que je peux vous dire c’est qu’il n’a pas pris l’avion avec nous pour se rendre à Istanbul. J’espère qu’on va le retrouver.
FM : avec le reste de l’équipe, vous avez pu rejoindre Istanbul. C’était, on l’imagine, un soulagement.
KS : il y avait un petit soulagement car je me suis dit que j’étais dans une ville où ça n’allait pas se passer. Mais par la suite, je me suis dit que ça pouvait arriver partout, en France, en Chine, en Angleterre, etc… On n’est jamais en sécurité au final.
Un traumatisme profond
FM : en vous écoutant, on vous sent très choqué et traumatisé.
KS : franchement, c’est un choc. Je n’arrive pas à dormir. Je suis tous les jours avec mon agent et on en parle tout le temps. C’est une sensation que je ne peux pas vous expliquer. Au moment où je vous parle, assis à Istanbul, j’ai l’impression que le sol tremble. Mais les gens autour de moi me disent que non, ça ne tremble pas. C’est un traumatisme je pense. Je sais savourer les petits moments de la vie. Quand il vous arrive un truc comme ça, vous êtes obligé de changer. Des gens sont morts à côté de vous alors que vous avez eu la chance de survivre.
FM : comment occupez-vous vos journées à présent ?
KS : depuis que je suis arrivé à Istanbul, on essaye d’envoyer de la nourriture et de l’argent là-bas avec mes amis. On a laissé des personnes là-bas et on sait qu’ils n’ont rien à manger et à boire. On sait que ce n’est pas facile pour avoir été là-bas un temps avec elles.
FM : sur place, avez-vous aussi tenté d’aider les gens dans le besoin ?
KS : je vais vous dire la vérité. Quand on a vu l’immeuble s’écrouler, on a vu des gens et on a essayé de les sauver. Quand vous tirez des personnes et que la moitié de leur corps reste de l’autre côté, qu’elles sont décédées, c’est difficile. On a fait de notre mieux. On ne pouvait presque rien faire. Il y avait des mamans bloquées dans leur maison avec leurs enfants. On a tenté d’enlever les blocs de pierres et plus on les enlevait, plus ça tombait. On a essayé de sauver des enfants, des mamans, des personnes âgées. Mais ça n’a vraiment pas été facile. Ceux qu’on a réussi à sauver, c’est grâce à Dieu.
FM : le foot est forcément secondaire après un tel drame. Appréhendez-vous de retourner un jour sur un terrain ?
KS : je ne vois plus les choses de la même façon. Là, je me rends compte que le football est vraiment une passion. Mais quand une chose comme ça vous arrive, vous oubliez vos crampons, votre maillot, votre carrière. Tout ce que vous possédez. C’est juste toi et toi. On ne pense plus au football. On ne pense qu’à sa famille, ses parents, ses proches. La première chose que vous vous dites c’est : "vais-je revoir ma famille ? "
FM : que comptez-vous faire à présent ? Allez-vous rester en Turquie ou bien rentrer en France ?
KS : pour le moment, je vais attendre à Istanbul et voir comment ça se passe. Le gouvernement et la fédération turque n’ont pas encore pris de décision par rapport aux villes et aux clubs où ces événements se sont passés. Il y a aussi eu des morts dans d’autres clubs, notamment à Malatyaspor. Quand une décision sera prise, j’envisagerai quelque chose par rapport à ma carrière. Je suis à Istanbul pour au moins deux semaines et je réfléchis à ce qui s’est passé, ainsi qu’à ma carrière. La saison n’est pas terminée. Malgré ce drame, l’amour pour le football demeure toujours. On a aussi l’amour pour ces personnes qui nous ont aussi quitté. Je vais me poser et réfléchir.
FM : le monde tout court et notamment le monde du foot a réagi suite à ces terribles incidents. Les joueurs et les clubs ont fait des messages ou aidé à leur façon. C’est un beau message de solidarité.
KS : mettre des messages de soutien, c’est très bien. Mais tous les gens qui sont là-bas n’ont pas besoin de messages. Ils ont besoin de soutien, d’argent, de nourriture et de boisson. Ils ont besoin de choses pour les aider à survivre. Les messages, c’est très bien. Je ne critique pas. Tout le monde en met et c’est une bonne chose. Mais j’étais sur place et j’ai vu ce qu’il s’est passé. Les gens sur place ne vont pas lire les messages. Ils ne peuvent pas. Ils ont besoin de manger, de boire, etc…
FM : de quelle façon les aidez-vous ?
KS : on a un groupe WhatsApp au sein du club où on envoie de l’argent pour pouvoir aider les gens dans le besoin. On peut aussi faire des courses et mettre les aliments dans un bus qui ira là-bas. C’est ce qu’on fait depuis que je suis à Istanbul.
FM : quel message voulez-vous envoyer à ceux qui vous lisent et qui veulent peut-être les aider ?
KS : ça peut arriver à tout le monde. C’est arrivé en Turquie. Demain, ça peut se dérouler en plein Paris. Je n’avais pas prévu que ça m’arriverait en étant à Hatay. C’est une leçon. Il faut être solidaire. Les messages, les pleurs, les vidéos, les interviews, c’est bien. Je ne critique pas. Mais venir en aide, c’est vraiment ce dont ils ont besoin. Si j’avais encore été là-bas, je peux vous assurer que les messages m’auraient réconforté si j’avais pu les avoir. Mais ça n’aurait rien changé à ma situation alors que le fait de pouvoir m’alimenter, oui. Pour venir en aide à ces personnes-là, il faut faire des dons, envoyer de la nourriture. Ils n’ont pas forcément besoin d’argent, mais de denrées alimentaires. La ville est dévastée. Croyez-moi, avec de l’argent vous n’allez pas faire grand-chose là-bas. Je ne souhaite à personne de vivre une telle tragédie. J’ai des coéquipiers qui étaient avec leurs épouses, leurs enfants ou leurs parents qui étaient venus leur rendre visite. Ils étaient là au mauvais endroit et au mauvais moment malheureusement.
FM : c’est aussi valable pour vous…
KS : c’est un peu ce qui m’est arrivé, oui. Mais c’est une leçon. Je vous avoue qu’aujourd’hui, quand je bois un verre d’eau, je ne le bois plus comme avant. Je regarde bien le verre car quand vous frôlez la mort, vous ne voyez plus rien de la même façon. Je vois les choses autrement. Je ne souhaite à personne de vivre ça, vraiment. J’espère qu’on pourra aider les personnes sur place à s’en tirer et à sortir des villes d’Hatay, Gaziantep et Kahramanmaras. On a eu la chance de pouvoir échanger aujourd’hui, mais certains n’ont pas eu ma chance. En une seconde, la vie peut s’arrêter. Il fallait voir comment les gens sortaient dehors. Ils se sont précipités, certains étaient même nus. Ils ont voulu sauver leur peau. Les villes où il y a eu les tremblements de terre n’existent plus. Il y a eu beaucoup de morts et j’espère que le bilan ne va pas trop s’alourdir.
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