Qui ne se rappelle pas, qu’installé le 2 avril 2012, le Président Macky Sall avait donné des instructions à la ministre d’Etat, secrétaire générale de la présidence de la République, Mme Aminata Tall, pour s’occuper à mettre de l’ordre dans le parc automobile de l’Etat ? Ainsi, les premières mesures signées par Mme Tall, en l’occurrence les notes circulaires n° 0000001 et 0000002 du 13 avril 2012, avaient pour objet de mettre à l’arrêt tous les véhicules appartenant à l’Etat et à ses démembrements qui étaient en circulation et qui étaient détenus par des personnes n’en ayant ni titre ni droit. Les services de police et de gendarmerie avaient été commis à rechercher et immobiliser plus d’un millier de véhicules. La démarche avait provoqué une levée de boucliers, car de nombreux chefs religieux et autres personnalités politiques, des artistes et des célébrités du monde des sports s’en étaient offusqués. De nombreuses voix s’étaient élevées pour demander la fin de l’opération qui était perçue comme une «humiliation» dont faisaient l’objet des personnalités. Dans les allées du pouvoir, on murmurait des récriminations contre «cette forme de gestion pauvre et appauvrissante». L’opération sera stoppée net. Le 28 octobre 2012, au micro de Mamoudou Ibra Kane à l’émission «Grand Jury» de la Radio futurs médias, je regrettais cette reculade, soulignant que cette opération menée à bout aurait été «un acte concret» dans le cadre de la politique de gestion sobre et vertueuse. Non seulement l’opération de traque des véhicules administratifs indûment affectés à des personnes a été arrêtée, mais le régime du président Sall était tombé lui-même dans les mêmes travers de la gouvernance de Abdoulaye Wade. On en connaît encore de nombreuses personnes qui disposent de véhicules de l’Etat sans y avoir droit. Le communiqué du Conseil des ministres du 20 février 2020 avoue même «qu’il a été constaté le manque de rigueur dans l’application intégrale de la réglementation, entraînant des abus aux conséquences budgétaires et financières énormes pour l’Etat».
En 2020, un septennat plus une année sont passés. Macky Sall, réélu le 24 février 2019, vient à nouveau, avec cette même volonté ou résolution. On attendra encore pour juger, avec un brin d’espoir, qu’enfin le Président Macky Sall va s’y tenir cette fois-ci, contre vents et marées.
En effet, nous pouvons nous accorder sur le fait que le temps est réellement venu de travailler ensemble sur la performance de la dépense publique. En effet, l’argent du contribuable n’est pas utilisé à bon escient. Le débat est difficile, car il nous concerne tous et touche à ce que nous devons appeler le contrat social. C’est assurément un combat citoyen. La réduction du train de vie de l’Etat devrait impacter positivement le déficit budgétaire, mais aussi le Président Sall aura beaucoup à gagner, car ce serait un moyen de lutter contre l’arrogance des tenants du pouvoir qui s’exhibent devant les populations avec une ostentation qui pourrait révulser. Ces cohortes de grosses cylindrées rutilantes et toutes sirènes hurlantes, entre autres, creusent assurément un fossé entre les populations et leurs gouvernants.
Les véhicules, l’arbre qui cache la forêt
On retiendra que le président Macky Sall a engagé le gouvernement, le ministre des Finances et du budget notamment, à communiquer autour du processus en cours, avant le déploiement du nouveau système de gestion des véhicules administratifs à partir du 1er avril 2020.
Pour rappel, lors du vote du budget 2020, le ministre des Finances et du budget, Abdoulaye Daouda Diallo, avait expliqué qu’il ressortait des statistiques que le montant décaissé pour les dépenses de véhicules, de 2012 à 2018, s’élevait à 119 milliards de francs Cfa. Pour l’année 2019, il est estimé à 3 milliards 490 millions de francs Cfa. Quant aux prévisions de 2020, c’est un montant de 6 milliards 600 millions de francs Cfa qui est affecté à l’achat des véhicules dont seulement 1 milliard pour la Direction du matériel et du transit administratif (Dmta) qui reste pourtant l’organe approprié pour ce type d’acquisitions. Il y a 5 ans, le montant affecté à la Dmta pour l’acquisition des véhicules était de 6 milliards. Ce chiffre est toutefois assez trompeur, quand on sait que plusieurs départements ministériels, pour contourner les restrictions liées à l’achat de véhicules, se rabattaient vers les agences et les projets sous leur tutelle pour s’approvisionner. C’est ainsi que les dépenses liées à l’achat de véhicules pour les projets et agences pouvaient s’élever à 11 milliards par an. Le gouvernement avait déjà supprimé les bons d’essence pour les remplacer par les cartes magnétiques. Cela permettait d’éviter des fraudes, parce que lesdits bons servaient souvent de monnaie d’échange à certains fonctionnaires assez peu scrupuleux.
Il faut donc relever que cet effort de rationalisation des dépenses de l’Etat a commencé depuis quelque temps déjà, et s’était manifesté par la décision de réduire les frais de téléphone ainsi que les indemnités de logement. Ces indemnités sont directement inclues dans le salaire, et les bénéficiaires s’en acquittent directement.
L’ensemble de ces décisions de réduction du train de vie de l’Etat fera passer le pourcentage des dépenses de fonctionnement de l’Etat de 56% l’année dernière à 54% cette année, soit en valeur réelle de plus de 80 milliards de francs.
Les autres niches à élaguer
La rationalisation des dépenses de l’Etat ne devrait pas se limiter à la gestion du parc automobile. Il existe des niches budgétivores qui méritent un coup de rabot. On ne s’imagine pas que les billets d’avion et frais de mission à l’étranger coûtent plus d’1 milliard 500 millions par an au budget de l’Etat, sans compter les dépenses des agences et structures autonomes comme l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), la Cour des comptes, la Cour suprême, le Conseil constitutionnel et les autres projets de l’Etat et entreprises publiques. La publication du dernier rapport de la Cour des comptes a par exemple révélé que l’Asepex avait dépensé, entre 2013 et 2015, la bagatelle de 481 millions 494 mille 446 F Cfa en frais de mission, dont 340 millions 078 mille 117 F Cfa pour la seule année 2015. Peut-on s’imaginer les dépenses des autres structures qui n’ont pas encore reçu la visite des magistrats de la Cour des comptes ? Il conviendra cependant d’adapter la réglementation pour éviter que des procédures obsolètes et des barèmes irréalistes soient appliqués à des agents en mission. L’inadéquation des procédures est source de manœuvres qui se révèleront fatalement préjudiciables aux ressources publiques.
L’Etat devrait pouvoir faire d’une pierre deux coups dans la gestion de la commande des mobiliers pour les administrations publiques. Des économies importantes pourraient être réalisées et le secteur de l’artisanat pourrait gagner une bouffée d’oxygène avec le marché du mobilier national. Dans sa livraison du 29 novembre 2017, le journal Le Quotidien rapporte la satisfaction des membres de l’Organisation nationale des professionnels du bois (Onpb) qui relevaient que «deux ans après que la Direction du matériel et du transit administratif de l’Etat (Dmta), sur instruction du président de la République, a ordonné qu’une partie de la commande publique leur soit attribuée, au total, 18 entreprises nationales sont attributaires de ce marché du mobilier national. Ce qui représente un chiffre d’affaires de 449 millions 739 mille 568 francs Cfa pour ces entreprises… Les retombées de ce marché de fournitures du mobilier et de matériels d’appoint resteront entre les mains des Sénégalais. Cet argent va toucher les menuisiers bois, métalliques, le tapissier du coin, le quincailler, le vendeur de tissus, le matelassier et même la vendeuse de cacahuètes installée à côté du menuisier». Pourtant, la Dmta ne leur avait alloué que 15% de la commande publique en mobilier.
Sur un autre registre, l’Etat du Sénégal devrait pouvoir réaliser des économies non négligeables avec une meilleure gestion des personnels en poste dans les ambassades et consulats du Sénégal à l’étranger. Des personnels non essentiels y sont maintenus et leurs rémunérations pèsent lourdement sur les finances publiques. Le plus absurde est qu’il est de notoriété publique que de nombreux agents diplomatiques et consulaires ne s’acquittent guère de leurs missions. Il s’y ajoute que nos ambassades et consulats deviennent des points de chute de personnes qui y sont affectées pour des raisons médicales. De nombreuses personnes trouvent des postes à l’étranger, non pas pour des nécessités de service, mais pour leur permettre de suivre des traitements médicaux, aux frais du contribuable sénégalais, dans le pays de leur choix. Ce serait également l’occasion de régler la lancinante question de la carte diplomatique du Sénégal pour optimiser la couverture diplomatique. L’Etat s’y était essayé avant de reculer, peut-être pour mieux sauter ? C’est la même chose avec la délivrance des passeports diplomatiques. Macky Sall avait, en 2012, retiré de la circulation plus de 30 mille passeports diplomatiques délivrés par le régime Wade. Il est regrettable qu’en quittant le ministère des Affaires étrangères en 2019, Me Sidiki Kaba aura laissé derrière lui un autre scandale lié à la distribution sauvage de passeports diplomatiques.
Une politique en yoyo depuis 2012
On ne saurait quand même ne pas reconnaître les efforts qui ont pu être consentis pour la rationalisation des dépenses publiques. On retiendra globalement que depuis 2012, le montant issu de la rationalisation des dépenses courantes s’élève à environ 133,051 milliards F Cfa. Ces économies réalisées expliquent le comportement du ratio dépenses courantes par rapport au Pib qui n’a cessé de reculer, passant de 12% du Pib en 2011 à 7,5% du Pib en 2018.
L’une des mesures qui ont frappé le plus les esprits est la coupure des lignes téléphoniques, décidée en août 2019. Le président Sall indiquait que : «Malgré les efforts qui ont été faits, nous continuons d’enregistrer beaucoup de dépenses. On a évalué les factures de téléphone de 16 à 17 milliards par an pour les agents de l’Administration.» Pour lui, l’Administration doit «optimiser» ces ressources pour apporter un mieux-être aux populations. Cette rationalisation des dépenses publiques avait d’abord porté sur la suppression de 48 agences et structures, la fermeture de quelques postes diplomatiques et consulaires et la suppression d’institutions comme le Sénat et la vice-présidence de la République, qui était dotée d’un budget de fonctionnement même si le poste n’avait jamais été pourvu par le Président Abdoulaye Wade.
Déjà, pour le cas spécifique des dépenses permanentes, toutes les lignes de téléphone mobile, hormis certaines des services de défense, de sécurité et de justice avaient déjà été suspendues le 1er mai 2012, avec un réabonnement au cas par cas, suivant une restriction des bénéficiaires et des montants plafonds fixés par circulaire du Premier ministre. Des économies de 11 milliards de F Cfa avaient été réalisées sur les dépenses du téléphone. La rigueur avait été relâchée, pour ne pas dire que la bride a été lâchée, pour qu’on en arrive encore à couper les téléphones en 2019. Aussi, le gel et la résiliation de toutes les conventions de location de bâtiments à usage de logement ont permis de réaliser des économies de 7 milliards. En lieu et place de la location, des indemnités de logement ont été octroyées aux ayants droit. Depuis 2014, la compensation tarifaire sur l’électricité pour 20 milliards de F Cfa a été économisée. C’est cette enveloppe qui avait permis d’allouer sa première dotation au Pudc dont les populations rurales louent les mérites. Malheureusement, les hérésies commises dans la gestion du secteur de l’électricité ont fini par pousser l’Etat à allouer plus de 200 milliards à la Senelec par an.
Pour les consommations d’eau, les cent plus gros consommateurs de l’Administration ont été identifiés et suivis de façon très rapprochée. S’agissant des corps émergents de l’éducation, suite au rapport de juillet 2011 de l’Inspection générale des finances relatif à l’audit de leurs salaires, il a été décidé de supprimer le quota sécuritaire. Des économies ont été également réalisées sur les subventions octroyées aux agences qui bénéficient de ressources propres, pour 1,080 milliard de F Cfa. La réduction des dotations consacrées aux fêtes et cérémonies, conférences, congrès et séminaires ainsi qu’aux lignes «habillement et accessoires». En outre, les crédits destinés à l’achat de mobilier, matériel de bureau, matériel informatique, véhicules et autres biens amortissables ont été revus à la baisse à hauteur de 2,262 milliards de F Cfa.
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