Un sentiment amoureux né entre une femme et un homme pendant leur période de galère, garantit-il un amour à vie ? Rien n’est moins sûr, au vu des séparations constatées ici et là. Car l’évolution du statut social et/ou financier de l’un ou l’autre, réserve parfois des surprises désagréables.
La rupture survenue il y a quelque temps entre Jean et Irène, deux jeunes tourtereaux qui habitaient à Yopougon Kouté -Terminus 40, continue d’alimenter les conversations au sein de leur cercle d’amis et parents. Tant ils étaient cités en exemple, depuis leur arrivée de Bouaké en 2002, après le déclenchement de la guerre. Irène était encore étudiante en Licence d’espagnol et Jean gérait une cabine téléphonique dans le quartier. Après avoir arrêté les études au lycée. Ils logeaient dans un petit studio. Le couple a même eu une mignonne petite fille. Quand Irène n’a pas cours, elle s’occupe de la cabine de son copain, pour lui permettre de faire ses courses. Une vie de jeune couple paisible. Jusqu’à ce qu’Irène obtienne un poste d’enseignante dans un lycée de l’intérieur du pays. « Au début en 2012, elle revenait voir Jean au quartier. Puis, elle est partie avec sa fillette. Après, Irène a commencé à espacer ses visites. Finalement, elle a laissé Jean. Elle n’est plus revenue jusqu’à ce jour », témoigne Colombe S. Tiéhi, voisine de l’ex-couple. Selon des confidences que Jean lui a faites, Irène vit avec un professeur qui exerce dans la ville où elle a été affectée. Il ne lui convenait plus parce qu’elle trouve que son niveau d’études n’est pas élevé. Et son activité pas suffisamment lucrative pour envisager un avenir meilleur. Seule la fille de Jean vient le voir désormais à Abidjan. L’homme n’a plus que ses yeux pour pleurer cet amour de jeunesse.
Tout comme Evelyne Guèye, commerçante, qui rumine encore sa colère, pour la trahison (?) dont elle a été victime, après environ dix ans de galère avec Romain.
« Je ne vais jamais oublier ce que Romain m’a fait, assène-t-elle. Depuis le collège, je l’ai soutenu avec l’argent de mon petit commerce. J’ai dû même arrêter les études en classe de 4ème, parce que c’était dur pour nous deux. Moi, je me suis sacrifiée pour qu’il puisse avancer. Quand il a réussi le concours de Commissaire de Police, je me suis dit que c’était enfin le bout du tunnel. Mais c’était plutôt le début de mes désillusions. Après sa formation et son affectation, Romain est venu tout bonnement me dire qu’il souhaite qu’on se sépare, parce que notre union serait incompatible avec son nouveau milieu professionnel et social. Je suis tombée des nues ».
Malgré la médiation de leurs proches de la région du Tonkpi, pour ramener Romain à la raison (?), rien n’y fit. Le Commissaire a rompu avec Evelyne au milieu des années 2000, pour épouser une femme de son milieu. Au grand désarroi d’Evelyne qui n’a pas fini de traiter Romain de tous les noms.
La même amertume anime Delore Ariane, ex-étudiante en publicité et marketing dans une grande école au Plateau.
« Mon ex m’a fait subir la plus grosse honte de ma vie. J’avais placé toute ma confiance en lui. Pendant que j’étais en cycle BTS, lui était en Diplomatie à l’ENA. Quand il n’avait pas cours, il était tout le temps avec nous, mes amies et moi. On mangeait ensemble à midi au Plateau. Pour elles toutes, c’était mon futur époux. Le jour de sa soutenance de fin de cycle, en compagnie de mes amis, je me pointe avec des fleurs. A notre grande surprise, une jeune fille sort de la foule, lui tend un bouquet et l’embrasse sur la bouche. Je venais de comprendre que c’était fini ! Roger avait abusé de moi pendant tout ce temps, en me faisant de fausses promesses de mariage… », raconte-t-elle.
Les désillusions amoureuses entre “go et gars de galère” sont devenues monnaie courante dans la société actuelle. Certains en ont fait l’amère l’expérience. D’autres en ont été témoins dans leur voisinage. Et les exemples foisonnent, surtout dans les grandes villes. Pourtant, le fait d’avoir galéré ensemble pendant longtemps devrait (en principe) être une garantie de fidélité. Avec le mariage au bout. Pour consolider la relation.
Pourquoi alors cette cascade de séparations, quand l’un ou l’autre réussit socialement et/ou financièrement ?
Pour le Pr Daniel Trah Dibi, Sociologue, enseignant à l’INFS et à l’ISTC, il n’y a vraiment aucune surprise à cela. Car, ces couples de jeunes, la vingtaine pour la plupart, jouent à l’amour pendant leur liaison. Mais ils ne comprennent pas l’amour. Le choix de l’un ou l’autre n’est ni mûr ni souvent éclairé. Ce qui du coup débouche sur des séparations, quand l’un se retrouve dans un nouveau statut social et un nouveau rôle. Il a un comportement de classe. Et une nouvelle vision, à l’opposé de l’autre qui n’a pas évolué. Et cela a inévitablement raison de leur amour de galère. Même s’il y a des exceptions. Par ailleurs, souligne Ange Patricia Tiédé, une jeune grand-mère de 40 ans, les conditions dans lesquelles ces couples de jeunes sans moyens et d’origine modeste en général se forment, fragilisent leur avenir. Parfois, leurs parents respectifs ne se connaissent pas et ignorent même l’existence de leur relation. Ils se sont rencontrés dans un “show” et se sont mis ensemble. Sans projet véritable. Et sans encadrement de personnes d’une certaine expérience, pour les guider dans leur couple (?). « Est-ce qu’on peut même parler de couple ? interroge Sylvère K., maintenancier en informatique. Souvent, ce sont des relations d’intérêt. Une jeune fille qui ne sait où manger et dormir est prête à trouver refuge chez le premier venu pour échapper à la galère. C’est pareil pour le jeune homme qui s’accroche à une jeune fille, parce qu’elle l’entretient. Sans même savoir où elle gagne son argent. Peut-être qu’elle se prostitue. A la première occasion, celui qui sort de la galère abandonne l’autre immédiatement. Ça, c’est clair ».
La réflexion de Sylvère K. doit rappeler un très mauvais souvenir à Delore Ariane. Car à l’époque, pour la quitter, son copain élève-diplomate à l’ENA a prétendu qu’elle se prostituait pour avoir l’argent qu’elle lui donnait. De l’argent “sale”, en quelque sorte, qu’il ne refusait pourtant pas. Tant que ça le dépannait pour finir ses études et devenir fonctionnaire. « Où est le sérieux dans tout ça ? », comme disent les chanteurs congolais Lolo Lolita et Pambou Tchico Tchicaya, dans leur titre “Jeannot”.
Mais de la femme et de l’homme, lequel a le plus tendance à abandonner son partenaire, quand son statut social prend l’ascenseur ?
Sans hésiter, Antoinette Aya, Angela Zadi et Chantal Beugré, la trentaine, soutiennent que c’est une pratique courante chez les hommes. Ce sont eux qui commencent à trouver que leur femme n’est pas allée loin à l’école et n’est pas présentable, pour les accompagner dans les dîner-galas et autres cérémonies. Donc elle n’est plus digne(?) d’eux. Sous l’influence de leurs amis et proches. Et parfois des parents qui leur proposent des prétendues femmes idéales (?). Ce qui, du coup, amène certaines filles à se garder dorénavant de “construire” quelque chose avec quelqu’un qui n’a rien et qui se “cherche”. Elles veulent l’homme qui a tout. Elles appellent ça : “ce qui est cuit” ou “prêt à être consommé”. « Cela signifie aussi que les femmes n’aiment pas souffrir. C’est le confort qui les intéresse. Aujourd’hui, combien de femmes qui ont un niveau d’études élevé, occupant de hautes fonctions, avec de bons salaires, vivent avec un homme moins nanti et pas instruit ? », rétorquent Nick Sokory et Chris Asso, des opérateurs économiques. Avant d’ajouter que les hommes sont moins portés sur le titre et l’argent de la femme. Les avis sont visiblement partagés et chacun se défend.
Quoi qu’il en soit, Chantal Beugré et ses sœurs ont été mises en garde par leur mère. « Elle ne veut pas nous voir avec des gens sans métier ou qui ne font rien. Elle est intransigeante là-dessus, parce qu’elle a vu beaucoup de garçons qu’on aide et qui disparaissent quand ça marche pour eux », explique-t-elle. Et les mères qui donnent de tels conseils à leurs filles ne sont pas des cas isolés. Tout comme des pères qui demandent aussi à leurs garçons de s’éloigner des filles qui ne font rien dans la vie. Dans des familles bourgeoises, il n’en est même pas question. Est-ce à dire alors que désormais les relations où on part ensemble de rien et on construit tout petit à petit, ne vont plus prospérer ? « Ce n’est pas ça, répond Dame Tiko Tikou, dépositaire de presse. Mais à la différence du temps de nos parents, le matériel a pris le dessus dans les relations sentimentales. A cause des difficultés économiques. Les femmes mêmes qui étaient des chantres de l’amour sont entrées dans la danse. A qui faire confiance maintenant pour construire quelque chose de sincère et durable ? ».
Question pertinente ! Mais pour le sociologue Daniel Trah Dibi, l’amour, sentiment noble, existe et existera. Même s’il devient une denrée rare. Il faut tout faire pour qu’il reprenne le dessus dans les relations entre femmes et hommes. En inculquant les valeurs nobles de l’amour aux jeunes à la maison et à l’école. Pour que l’amour vrai redore son blason. Et puis, dans un couple, ce sont les deux mains qui se lavent, font remarquer Remy N’Zué, informaticien, Armand Gohi Bi, gérant de cave et Marie N’Cho, Secrétaire. Pour eux, quand l’un réussit, il doit créer les conditions pour que l’autre avance également. Quel que soient son domaine et son niveau. Car il n’y a pas plus beau geste d’amour, que d’aider son ‘’amour de galère’’ à sortir de la galère. Même à défaut de continuer ensemble.
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