Malgré des conditions peu propices à la préparation sportive depuis l'invasion russe de février 2022, l'Ukraine fait partie des plus importants contingents avec 140 sportifs engagés. L'équipe jaune et bleue est devenue une figure incontournable du monde handisport. Ces dernières années, elle brille sur la scène paralympique : sixième du tableau des médailles à Tokyo en 2021 avec 98 médailles dont 24 en or, elle avait même pris la troisième place cinq ans plus tôt à Rio, avec 117 médailles dont 41 en or.
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"Rester en vie"
Mais depuis la dernière édition, le quotidien a bien changé pour les para-athlètes ukrainiens qui ont préparé les Jeux de Paris avec la guerre en toile de fond. Impact psychologique, entraînements perturbés, peur des combats et déménagements forcés, les sportifs ont dû composer avec les aléas du conflit entré dans sa troisième année.
"L'objectif principal de chaque journée, c'était de rester en vie", avait ainsi expliqué en février dernier à l'AFP Danylo Chufarov, nageur et vice-champion du 400m en catégorie S13 (déficience visuelle importante) à Pékin en 2008. "Pendant cette période, toutes nos pensées étaient concentrées sur notre survie", avait expliqué le triple champion du monde, qui a vécu l'enfer dans la ville de Marioupol tombée aux mains des Russes en mai 2022. "Ceux qui ont réussi à survivre sont devenus des personnes différentes, et ça ne pourra plus changer", avait décrit le trentenaire qui a fui la ville portuaire du sud de l'Ukraine et qui n'a pas pu s'entraîner pendant six mois.
Malgré cette préparation bouleversée par la guerre, le champion participera à partir de vendredi aux épreuves de natation où il sera aligné sur plusieurs courses. Son compatriote Andrii Demchuk, champion paralympique d'escrime fauteuil en 2016 à Rio, est également présent à Paris. Pour être au mieux en vue de la compétition, il a préféré quitter le pays pour s'installer en Pologne à Varsovie. À chaque tournoi, la guerre est pourtant toujours aussi présente dans son esprit. "Presque chaque médaille vient avec des larmes, parce que vous comprenez que beaucoup de vos proches et amis ne verront pas cette victoire et ne pourront pas la célébrer avec vous", avait-il lui aussi résumé auprès de l'AFP. "Toutes les victoires sont bonnes à prendre pour l'Ukraine désormais, sur la ligne de front comme dans le monde du sport".
Le para-escrimeur Andrii Demchuk lors des Jeux paralympiques de Tokyo, le 25 août 2021.
Des para-athlètes soldats
L'équipe paralympique ukrainienne compte d'ailleurs plusieurs soldats. Opérateur de drone, Dmytro Melnyk s'est préparé entre les combats pour Paris en frappant son ballon contre le mur d'une vieille ferme. Souffrant de la déformation d'une jambe à la suite d'une mauvaise chute à l'âge de 18 ans, il s'est passionné pour le volley assis et a déjà participé aux Jeux de Rio en 2016. Malgré son handicap et plusieurs refus, il se démène pour intégrer l'armée ukrainienne en mars 2023 dans une unité de reconnaissance aérienne. "Il n'y a pas d'autre solution pour moi", a-t-il expliqué à la chaîne NBC. "Si je peux aider d’une manière ou d’une autre, je dois être là. À ce stade, je dois dire que non seulement je veux aider, mais que j’aide réellement. J'y joue mon rôle. Je ne le fais pas pire que les autres, mais à certains égards, c’est encore mieux que d’autres".
Infirmier dans l'armée, Yevhenii Korinets porte également le maillot de l'équipe de volley assis. Sa vie a basculé en mars dernier près de la ville de Bakhmout lorsqu'il a été blessé dans des combats. "J'ai presque dit adieu à la vie", comme il l'a raconté à Reuters. "Je n'avais qu'une chose à l'esprit : j'ai 25 ans, je ne suis allé nulle part, je n'ai pas voyagé, je n'ai pas vu le monde et je suis en train de mourir". Amputé de la jambe gauche, le jeune militaire a pourtant réussi à s'en sortir. Il a retrouvé goût à la vie grâce au sport et n'a désormais qu'un objectif : "la victoire, nous n'avons besoin de rien d'autre".
Le joueur de para-volley Yevhenii Korinets lors d'un entraînement avec l'équipe d'Ukraine, à Rechetylivka, le 7 août 2024.
Un tournant pour le handisport en Ukraine
La délégation ukrainienne, qui a adopté la devise "Votre soutien est notre victoire", n'est pas venue à Paris pour faire de la figuration, mais pour glaner le plus de médailles possibles. "Nous avons une énorme responsabilité par rapport à ce que nous allons accomplir à Paris. Nous allons là-bas pour gagner et montrer au monde que l’Ukraine est une gagnante", a ainsi annoncé Valeriy Sushkevych, le président du comité paralympique ukrainien, dans une vidéo publiée sur sa page Facebook.
Cet homme est le grand artisan du développement du handisport en Ukraine. Né en 1954, il souffre depuis l'enfance d'une poliomyélite qui l'a privé de l'usage de ses jambes à l'âge de trois ans. Valeriy Sushkevych a grandi sous le régime soviétique où les personnes en situation de handicap étaient marginalisées, voire purement et simplement écartées dans des instituts spécialisés. L'URSS et les pays du bloc de l'Est ne manifestaient alors aucun intérêt pour les Jeux paralympiques qui existent depuis 1960. Le pays a d'ailleurs refusé d'organiser les Jeux paralympiques d'été de 1980 à la suite des Jeux olympiques de Moscou.
Comme le raconte le site de France Info, malgré la mise à l'écart des personnes en situation de handicap, son père l'a poussé à pratiquer la natation. "Il m'a dit qu'il fallait que j'ai un corps plus solide que les valides, que je sois plus fort que la normale. Comme une compensation des autres parties de mon corps". Au début des années 1990, il a voulu faire profiter les autres de cette pratique sportive en créant le système ukrainien "Invasport" consistant à implanter des centres parasportifs spécialisés pour les jeunes handicapés dans chaque région du pays. Aujourd'hui, l'Ukraine compte 28 établissements "Invasport", en plus de 25 écoles pour les jeunes handicapés.
Depuis la guerre, le handisport a aussi changé d'image. Alors que le pays a enregistré 20 000 amputés ces deux dernières années, l'exemple des champions paralympiques leur redonne de l'espoir. "Dans nos centres, certains arrivent avec de grosses difficultés : des hospitalisations, des traumatismes, des amputations... Souvent, on leur dit que leur vie est finie", a souligné Valeriy Sushkevych auprès de France Info. "Mais nos para-athlètes sont là, dans leurs fauteuils, à leur montrer qu'on peut rester fort, avoir de gros muscles, être heureux, avoir une famille, une éducation et qu'on peut même être champion paralympique".
La présence de para-athlètes russes et biélorusses
À Paris, ces sportifs vont devoir composer avec les traumatismes subis depuis deux ans. Ils vont aussi devoir faire face à la présence de 88 parasportifs russes et huit biélorusses qui concourent sous bannière neutre. "Ils ne sont certainement pas neutres. Ces gens font partie d'une nation qui nous a agressée en détruisant nos maisons, bombardant nos villes, en tuant des femmes et des enfants et qui souhaite occuper nos terres et détruire tous les Ukrainiens", s'est ainsi insurgée Nataliia Harach, la porte-parole de la délégation ukrainienne auprès de EuroMaidan Press.
La Russie et la Biélorussie, son alliée, ont été bannies des Jeux olympiques et paralympiques en raison de l'invasion de l'Ukraine il y a plus de deux ans. Comme pour les JO qui se sont tenus entre fin juillet et début août, certains de leurs athlètes ont tout de même été autorisés à participer aux Jeux paralympiques. En plus d'un circuit de qualification, ils ont été soumis à un double contrôle, de la part du Comité international paralympique (IPC) et des fédérations internationales sportives, sur leur absence de soutien actif à la guerre en Ukraine et de lien avec l'armée de leur pays. Ils n'ont toutefois pas été admis à la cérémonie d'ouverture qui s'est tenue mercredi soir.
"Je ne sais pas comment nous allons nous comporter quand ils seront dans les alentours, comment nous allons réussir à coexister avec eux lors des paralympiques ou comment nous allons gérer nos émotions", a résumé Nataliia Harach. "Mais nous sommes déterminés à montrer notre force et à gagner", a-t-elle insisté.
Elena
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