Fin décembre, un numéro guinéen a contacté notre rédaction, via WhatsApp, pour nous parler d’un incident inhabituel dans son pays, images à l’appui : "Le 28 décembre 2024, un objet volant non identifié, ressemblant à un satellite ou à un aérostat, s'est écrasé dans une plantation de manguiers à Soumankoï", une localité se trouvant dans la région de Kankan (nord-est).
Plusieurs médias locaux ont également relayé l’information et les témoignages d’habitants assurant l’avoir vu tomber du ciel.
"On n’a pas l’habitude de voir ça"
Doussou, une femme qui travaille à Soumankoï, est allée voir cet étrange objet, après avoir été informée de sa chute :
Il est tombé dans une sorte de potager, donc il y a eu peu de dégâts, et aucun blessé. Il y avait beaucoup de monde, car on n’a pas l’habitude de voir ça. Ça ressemblait à un satellite. On a appelé les autorités qui se sont déplacées.
Selon Facely Sanoh, journaliste pour Africaguinee.com à Kankan, les autorités militaires ont rapidement récupéré l’objet : "À mon arrivée, elles l’avaient déjà embarqué. Depuis, aucun communiqué n'a été fait par les autorités."
Un objet qui n’est pas un satellite
Plusieurs médias locaux ont avancé la thèse d’un satellite qui se serait écrasé, comme Africaguinee.com et Guineenews.org. Mais plusieurs spécialistes consultés par notre rédaction jugent ce scénario impossible. Les satellites se trouvent à une altitude comprise entre 160 et 36 000 km. En cas de chute, ils sont donc extrêmement abîmés quand ils arrivent au sol, voire complètement désintégrés, contrairement à l’objet retrouvé à Soumankoï, dont les panneaux solaires en particulier apparaissent relativement en bon état.
Une nacelle de ballon stratosphérique
De son côté, Mediaguinee.com a relayé l’hypothèse du blogueur guinéen Alimou Sow, qui estime qu’il pourrait s’agir d’une "montgolfière du projet Loon de Google". Ce projet avait été lancé par la société X, une filiale de Alphabet Inc. (une holding comprenant notamment Google), afin de développer l’accès à Internet dans les zones rurales, grâce à des ballons stratosphériques. Le blogueur précise toutefois que ce projet a pris fin en 2021. Il est donc peu probable que l’objet retrouvé à Soumankoï soit lié au projet Loon.
En revanche, selon François Pajot, astrophysicien à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) de Toulouse, cet objet est bien une nacelle de ballon stratosphérique, en raison de plusieurs éléments qu’il parvient à distinguer sur les images.
Capture d’écran d’une vidéo de l’objet retrouvé à Soumankoï, dans la région de Kankan, en Guinée, le 28 décembre 2024. On y distingue différents éléments repérés par François Pajot : protections thermiques en feuille d’aluminium contre le rayonnement du soleil pour protéger l'électronique (en rouge), panneaux solaires au-dessus de la charge utile (les instruments à bord - en vert), amortisseurs pour amortir les chocs à l'atterrissage (en bleu foncé), pivot au départ de la chaîne de vol (en jaune), cornière en aluminium (en orange), objet ressemblant à un petit parachute au bout des sangles de la chaine de vol (en bleu clair). © Africaguinee.com
Selon le site du Centre national d’études spatiales (CNES), les ballons stratosphériques s'élèvent "jusque dans la stratosphère, entre 20 et 40 km d’altitude", soit plus haut que les drones et les avions, et plus bas que les satellites. Ils sont notamment utilisés pour "étudier la Terre ou scruter l’Univers", à l’aide d’instruments embarqués dans leurs nacelles, attachées sous le ballon.
Selon François Pajot, ces appareils peuvent être utilisés à des fins scientifiques ou militaires : "Les vols scientifiques sont toujours programmés au-dessus des zones à très faible densité de population, afin d'éviter des accidents lors de descentes non contrôlées, comme cela semble être le cas ici." D’après lui, au vu de la présence de panneaux solaires, "il s’agit peut-être d'un ballon ‘longue durée’ amené à voler plusieurs jours". Il ajoute : "Compte-tenu des courants stratosphériques à cette époque de l'année et à cette latitude, le déplacement se fait d'est en ouest. Une provenance d'Inde ou d'un autre pays d'Asie est possible."
Mystère autour de l’origine et de la fonction de ce ballon
Cependant, François Pajot estime qu’il est difficile d’établir l’origine précise et la fonction du ballon retrouvé à Soumankoï sans avoir inspecté les instruments présents à son bord.
Notre rédaction a donc appelé le colonel Moussa Condé, le gouverneur de la région de Kankan, à ce sujet : il n’a pas souhaité s’exprimer et nous a renvoyé vers la gendarmerie. Nous avons ensuite contacté le général Balla Samoura, le haut-commandant de la gendarmerie et directeur de la justice militaire en Guinée, de même que le colonel Sékou Tidiane Camara, coordinateur général du service de renseignements à la présidence, mais nous n’avons obtenu aucune réponse à nos questions.
"Cette nacelle a pu être fabriquée n’importe où"
En 2024, 82 ballons stratosphériques ont officiellement réalisé des vols, selon les données publiées par le site Internet StratoCat. L’immense majorité a été lancée depuis les États-Unis. Le site ne recense aucun ballon lancé depuis l’Asie fin décembre.
À ces 82 vols s’ajoutent possiblement d’autres vols - militaires, espions, etc. En février 2023, l’affaire du "ballon espion chinois" au-dessus des États-Unis avait ainsi défrayé la chronique.
Stéphane Louvel, chef de mission des vols Ballons Stratosphériques Ouverts au CNES, indique : "Officiellement, les vols sont réalisés par les agences nationales, aux États-Unis (Nasa), en France (CNES), au Japon, en Chine… Mais il y a peut-être aussi des start-ups qui s’amusent à faire ce genre de vols. Cette nacelle a pu être fabriquée n’importe où."
Contactée par notre rédaction, la Nasa a déclaré "ne pas être impliquée dans la conduite d'activités scientifiques en ballon au-dessus de cette zone".
De son côté, Frédéric Courtade, manager du Groupe d'études et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), un service du CNES, indique : "Il ne s’agit ni d’un ballon ni d’une nacelle du CNES. D’autres acteurs existent, mais ils sont peu nombreux dans le monde. Les États-Unis et la France sont les plus actifs, avec la Russie. Il y a aussi eu des nouveaux entrants chinois ou autres ces dernières années. Quoi qu’il en soit, légalement, aucun vol ne peut être engagé sans avoir obtenu les autorisations de survol et d’atterrissage de tous les pays concernés."
Un second incident dans la région de Kankan
Quelques jours après la découverte de l'appareil tombé à Soumankoï, les médias guinéens ont évoqué, le 1er janvier 2025, la présence d’un second objet mystérieux qui serait aussi tombé du ciel, dans la même région, à une quarantaine de kilomètres plus au sud, à Farako. Mais selon une source de Cheick Sékou Berthe, journaliste pour Guineenews.org à Kankan, l’engin avait en réalité été découvert plusieurs jours avant le 1er janvier.
Là encore, les médias guinéens ont précisé que les autorités avaient récupéré l’objet et qu’elles s’étaient montrées peu loquaces sur sa nature. De son côté, au vu des images, Stéphane Louvel estime qu’il s’agit d’un "ballon en polyéthylène de petite taille".
L’objet retrouvé à Farako, dans la région de Kankan, en Guinée. Stéphane Louvel indique : "Le système conique (en rouge) est probablement le système de séparation, et la plaque circulaire (en jaune) est certainement le pôle au sommet de l’enveloppe." © Guineematin.com
S’agit-il du ballon relié à la nacelle retrouvée quelques jours plus tôt à Soumankoï ? Selon les experts consultés par notre rédaction, il est possible que le ballon ait dérivé sur plusieurs dizaines de kilomètres avant de toucher le sol. "Je pense que les deux objets sont tombés à quelques dizaines de minutes d’intervalle, et que le ballon a peut-être été retrouvé un petit peu plus tard", estime Stéphane Louvel.
En conclusion, les deux objets retrouvés à Soumankoï et Farako semblent provenir du même ballon stratosphérique, au vu du déroulé des événements, même si son origine et sa fonction restent floues pour le moment.
Kelly
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