Abdoulaye est hébergé depuis cinq mois dans le centre d'accueil pour migrants d'Alcalá de Henares, à Madrid. Les restrictions de liberté et le manque d'accès aux soins médicaux pèsent sur le moral du jeune homme, déjà fragilisé par une traversée périlleuse sur la route des Canaries.
Abdoulaye* a pris la mer depuis les côtes ouest africaines et a atteint l’île d’El Hierro fin juillet 2024, après une traversée qu’il a encore du mal à évoquer. Quelques semaines plus tard, il est transféré dans le centre d'accueil pour migrants d'Alcalá de Henares, dans la capitale espagnole. Le jeune exilé, ancien étudiant, rêvait de construire sa vie en Europe. Il attend aujourd’hui désespérément de pouvoir demander l’asile et de sortir du centre où il "étouffe".
"Avec mes camarades, ici, on souffre. Jamais je n’aurais pensé que ce serait si compliqué en Espagne. À mon arrivée dans ce centre, j’ai signé des papiers et on m’a dit : ‘vous resterez trois mois maximum’. Force est de constater que la promesse n’est pas tenue. Ce que je souhaite moi, c’est déposer ma demande d’asile dans ce pays, avancer. Mais pour l’instant ça n’a pas été possible.
J’ai demandé plusieurs fois à l’association dans le centre d'aller voir les autorités pour constituer mon dossier. Mais à chaque fois, on me dit que ça ne se fera pas, on me répond : ‘c’est à cause du ministère [de l’Intérieur]. C’est à lui d’organiser le rendez-vous’.
Le centre d'Alcalá de Henares est une ancienne caserne militaire, d’une capacité de 1 500 places. Il dépend du ministère de l’Intérieur espagnol, mais l’association Accem sert d’intermédiaire entre les autorités et les migrants pour divers services, administratifs ou sanitaires.
Nous, on n’a pas le choix, on dépend de l’ONG pour lancer notre procédure. Je ne comprends pas d’où vient le problème.
En plus, je ne touche plus rien maintenant. Quand on arrive ici, on nous verse 50 euros par mois, mais pour trois maximum. Au-delà de ce délai, vous n’avez plus rien. Alors je suis complètement bloqué.
"Mieux vaut ne pas tomber malade"
L’autre gros problème dans cette structure, c’est l’accès aux soins de santé. Je vous le dis, mieux vaut ne pas tomber malade, car on ne s’occupe pas de vous. Juste avant Noël, je me sentais mal, j’ai donc demandé à voir un médecin. Sauf que c’était la veille de week-end, et ces jours-là, il n’y a pas d’équipe médicale. J’ai finalement obtenu un rendez-vous cinq jours plus tard. Dans mon cas, ce n’était pas grave, j’ai pu attendre. Ce n’est pas le cas de tout le monde ici.
Le 21 octobre, Diallo Sissoko, un ressortissant malien, est décédé dans le centre d'Alcalá de Henares. D’après l'Accem, il aurait succombé à une embolie pulmonaire. Mais avant de mourir, le jeune homme a subi une "longue agonie", avait affirmé le journal El Pais. Pendant six jours, il s’était plaint de douleurs intenses, soignées avec des analgésiques.
J’étais là quand ce Malien est mort. J’ai peur depuis car je sais que s’il m’arrive quelque chose de grave, on ne prendra pas soin de moi.
Ce qui me pèse aussi, ce sont les restrictions de liberté. On peut sortir dehors, mais on est obligé d’être là à tous les repas, et de revenir à 21h au plus tard. D’accord, avoir un toit sur la tête, c’est une chance. Mais ce cadre n’est pas facile à vivre au quotidien. Surtout quand vous n’avez aucune perspective d’avenir, comme moi maintenant. Je ne peux pas me projeter, et ça me mine le moral.
En janvier 2024, le journal El Mundo relayait des témoignages d’exilés du centre Alcalá de Henares. Pour eux, ce dernier était "pire qu’une prison". "Nous sommes toujours enfermés ici, alors que nous voulons sortir et étudier l'espagnol pour gagner notre vie", déplorait l’un d’eux. "Tu es malade, tu dis que tu dois voir un médecin et ils te répondent ‘demain’ . Le lendemain, ils vous répètent ‘demain’... Et ainsi de suite", racontait un autre.
"Je veux aller de l’avant"
Avec les autres occupants, heureusement on se soutient. On se sent frustré et impuissant, mais on s’entraide.
Mon rêve, c’est de pouvoir continuer mes études. J’étais en master dans mon pays, j’aimais beaucoup ce que je faisais, mais j’ai dû tout quitter. Aujourd’hui, je ne préfère plus penser à mes problèmes, je veux oublier le passé et aller de l’avant. Les premières semaines en Espagne, je n’allais pas très bien, entre mes ennuis au pays et la traversée en mer.
Mais maintenant, je me sens mieux. J’attends juste de pouvoir commencer ma nouvelle vie".
*Le prénom d'Abdoulaye a été modifié et son pays d'origine n'a pas été mentionné à sa demande pour préserver son anonymat.
Contactée, l'Accem n'était pas en mesure de répondre à nos questions pour le moment. Le ministère de l'Intérieur espagnol n'a, pour sa part, pas répondu à nos sollicitations.
Melanie
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Kimberly
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