Avec « Envolée zougloutique », un 11e album paru pour la première fois chez Universal Music Africa, le groupe emmené par A’Salfo entend continuer à faire bouger la nouvelle génération.
Il est loin ce temps où Magic System peinait à trouver des producteurs. Si « Premier Gaou » résonne encore dans toutes les têtes, ce tube sorti en 1999 a pourtant failli ne jamais être diffusé. « Il ne faut pas oublier que notre premier album a été un bide, rappelle le leader du groupe A’Salfo, de passage à Paris, dans son costume tiré à quatre épingles. Ce qui fait notre longévité, c’est notre persévérance. » Mais c’est sans compter la loyauté de cette joyeuse troupe formée dans le quartier populaire d’Anoumabo à Abidjan, au milieu des années 1990. « Jamais d’accord, toujours ensemble », glissent de concert Salif Traoré, de son vrai nom, et son manager, aux côtés de la bande depuis 18 ans. Autant de fidèles années que le groupe a également passées chez la major Warner. Aujourd’hui pourtant, les Ivoiriens annoncent un tournant dans leur carrière en rejoignant Universal Music Africa. Cette signature s’accompagne de la publication d’un 11e album, Envolée zougloutique. Un titre qui « rappelle le lien que l’on a avec ce mouvement musical, mais qui est aussi annonciateur de rebond », reconnaît la tête pensante du projet.
Avec 25 ans de carrière au compteur et une petite quarantaine d’années de moyenne d’âge, Magic System n’entend pas quitter de sitôt son statut d’ambassadeur du zouglou, genre éminemment lié à la jeunesse ivoirienne. « Ce groupe iconique a décidé de nous faire confiance, et c’est un formidable signal pour les jeunes talents que l’on forme et les équipes qui portent ce jeune projet de label depuis le début », admet Franck Kacou, directeur général d’Universal Music Africa, dans les locaux parisiens du groupe. Le moyen pour la division ivoirienne, qui a implanté ses bureaux à Abidjan en 2018, de parier sur des valeurs sûres du patrimoine musical africain. Et pour Magic System de garder le cap sur les tendances actuelles du marché.
« On n’est pas totalement de la vieille école, mais on a débuté à une époque où l’industrie de la musique vendait encore des disques. L’arrivée du numérique et de la nouvelle génération nous obligent à nous adapter et à nous renouveler », admet A’Salfo. Toujours un œil rivé sur les chiffres, ce businessman invétéré se dit néanmoins fier de comptabiliser 10 000 pré-commandes physiques au moment où on le rencontre, à quatre jours de la sortie officielle du nouvel opus. Preuve que les fans de la première heure sont toujours au rendez-vous. « On rêve d’être disque d’or pour montrer que cette clientèle-là, adepte du physique, existe aussi. On a eu l’habitude de voir nos fans nous réclamer des CD à la fin de chaque concert, se souvient A’Salfo nostalgique. Cette époque nous manque. » Une époque toutefois révolue, à l’heure où l’économie du streaming domine le paysage de l’industrie.
{ Il n’y a plus de musique urbaine ivoirienne, mais une musique urbaine africaine. Nous avons la chance avec Magic System d’être des classiques} .
Cette nouvelle stratégie sera donc confiée à Universal Music Africa, qui a d’ailleurs prouvé sa capacité à se positionner sur le numérique, notamment au début de la pandémie liée au Covid, période durant laquelle la maison a mis en place une série de formats digitaux pour promouvoir les poulains de son catalogue. Pour le reste, Magic System ne changera pas sa recette gagnante : un son festif mais néanmoins porteur de messages sur l’éducation, le chômage des jeunes, l’environnement… « Notre musique est intergénérationnelle car nous parlons du quotidien des Africains et défendons les valeurs de courage et de détermination, martèle le président de la fondation Magic System, engagée dans l’éducation, la santé, la culture et l’environnement. On a su montrer aux Africains que l’on pouvait connaître le succès, et devenir un exemple pour des générations tout au long de notre carrière. On a envie de dire à cette jeunesse qui a tendance à baisser les bras au moindre échec que c’est au bout de la souffrance que se trouve la victoire », poursuit-il en chantonnant un extrait du tube « Bouger bouger » (« Tant qu’il y a la vie, on dit toujours il y a espoir »), sorti en 2005. C’est aussi sur ce même morceau en featuring avec le rappeur franco-malien Mokobé, que le groupe clame à l’envi que « rien n’a changé ». Un mantra qui définit la signature sonore des Magic.
Leur musique métissée au croisement du zouglou et du coupé-décalé n’a pas changé. Elle est comme figée dans le temps, ni tout à fait obsolète ni tout à fait progressiste. Mais elle perdure, à l’heure où la Côte d’Ivoire peine pourtant à renouveler son répertoire. « Depuis une dizaine d’années, il n’y a eu aucun nouveau phénomène musical sur ce territoire qui a pourtant vu naître le ziglibithy, le zoblazo, le gnama gnama, le rap ivoirien, le zouglou et le coupé-décalé, énumère A’Salfo. Je crois que les réseaux sociaux ont tué cette dynamique, car toutes les musiques du continent s’agglomèrent sur Facebook. Il n’y a plus de repères géographiques, observe-t-il. Il n’y a plus de musique urbaine ivoirienne, mais une musique urbaine africaine. Nous avons la chance avec Magic System d’être des classiques. Nous ne jouons plus un genre de musique mais une marque, et c’est tout à notre honneur. »
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Avec en moyenne 50 dates livrées par an un peu partout dans le monde, le groupe a eu pour habitude de vivre entre deux avions. Mais la crise sanitaire aura eu raison de ce rythme effréné. Suisse, France, Allemagne, Angleterre ou encore États-Unis, autant de pays où le combo devait se produire en 2020. Cette parenthèse lui a néanmoins permis de se recentrer sur l’écriture et la création, et surtout sur l’Afrique. « On ne s’était pas posés en Côte d’Ivoire pendant une année complète depuis… 2001, réalise A’Salfo. Ce contexte nous a naturellement conduit à réaliser un projet 100 % ivoirien. » Enregistré dans plusieurs studios d’Abidjan, Envolée zougloutique – qui compte des collaborations avec Fally Ipupa et le rappeur burkinabé Smarty – est l’album du retour aux sources.
La pandémie aura tout de même bouleversé l’agenda de celui qui porte le Femua (Festival de musique urbaines d’Anumabo), l’un des plus importants festivals de musique en Afrique qui se tient en avril depuis 2008. Avec une édition annulée en 2020 et celle de 2021 a priori reportée en septembre, les pertes financières ont été colossales. Pour le fondateur de l’événement, il fallait privilégier la santé des quelque 100 000 festivaliers et éviter tout cluster. Mais il l’assure, la cuvée prévue cette année se fera. « La tenue du Femua sera la sortie du tunnel pour tous les promoteurs africains qui ont envie de défendre des projets culturels, mais qui ont été bloqués jusqu’à présent, estime celui qui a été nommé conseiller économique, environnemental et culturel par le président Alassane Ouattara en 2019. Une nomination que cet apolitique revendiqué voit comme une opportunité de plus d’être du côté du peuple. Cette édition sera le signal de relance », soutient-il.
En 2017, Magic System fêtait ses 20 ans de carrière et se produisait dans 14 pays. Une rareté dans le paysage musical ouest-africain où le manque de partenaires sonne peu à peu le glas des tournées, lesquelles sont de moins en moins rentables pour les organisateurs. « Nous avons la chance d’avoir une base de fans, mais ce n’est pas forcément le cas des nouveaux artistes, estime A’Salfo. Voir que les artistes africains rejoignent une grande maison comme Universal et qu’une partie du groupe est dirigée par un jeune Africain, ce n’était pas quelque chose que l’on aurait imaginé il y a 20 ans. On a ouvert la voie à la nouvelle génération. Aujourd’hui c’est la musique de ceux que l’on appelait les blédards autrefois qui inspire la jeunesse. »
Tracy
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