Pressenti comme le favori de cette édition 2021, l’auteur de 31 ans Mohamed Mbougar Sarr a remporté mercredi 3 novembre le prestigieux prix Goncourt pour son ouvrage La Plus Secrète Mémoire des hommes, publié aux éditions Philippe Rey (France)/Jimsaan (Sénégal).
Originaire de Diourbel, le Sénégalais est parmi le plus jeune des écrivains à avoir été distingué par l’Académie et le premier auteur d’Afrique subsaharienne. Après avoir étudié au prytanée militaire de Saint-Louis (Sénégal), il a poursuivi ses études en France et intégré l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dans ses livres, il a traité tour à tour du sujet du terrorisme (Terre ceinte), de la question de la migration africaine (Silence du chœur), puis de celle de l’homosexualité au Sénégal (De purs hommes), La Plus Secrète Mémoire des hommes raconte la quête d’un jeune écrivain sénégalais passionné par un livre culte publié en 1938 qui part à la recherche de son auteur.
Une distinction qui n’a pas manqué de susciter une grande joie au Sénégal : les messages de félicitations sur les réseaux sociaux se sont enchaînés aussitôt le nom du lauréat dévoilé. Parmi eux, le président sénégalais Macky Sall, qui a félicité Mohamed Mbougar Sarr pour cette « belle consécration qui illustre la tradition d’excellence des hommes et femmes de lettres sénégalais ». Autre signe de l’engouement autour de l’ouvrage : le roman était en rupture de stock dans plusieurs librairies de Dakar ! Réactions sur place.
Cheikh Ndiaye, chef de rayon à la librairie des 4 Vents Mermoz à Dakar : « Une centaine d’exemplaires sont partis entre 11 heures et 14 heures ce mercredi, on a battu les records ! On a recommandé environ deux cents nouveaux ouvrages pour les semaines à venir car c’est certain qu’ils vont tous partir ! Depuis deux mois déjà, on avait une forte demande et cela s’était accentué avec la nomination au Goncourt. C’est un auteur qui monte en puissance. Nous avons appris cette nouvelle avec beaucoup de fierté. »
Papa Djigane Cissé, business developper : « Il y avait un gouffre immense après les anciennes générations d’écrivains renommés des indépendances, qui s’était traduit par une déperdition de l’intérêt pour la lecture. Enfin nous avons une génération qui va tout rafler ! Ces jeunes Sénégalais sont capables de produire et prennent la relève de leurs aînés. Quand j’ai appris la nouvelle, j’en ai eu des larmes de bonheur ! C’est un message fort envoyé, on récompense un écrivain, mais également un écrivain africain. Ses œuvres parlent de nos réalités, mais Mohamed Mbougar Sarr ne s’adresse pas à une cible en particulier, il puise en lui pour exprimer ses observations, ses réflexions. C’est ce qui rend son œuvre importante. C’est un écrivain réaliste et naturaliste qui a une écriture mordante, parfois crue, incisive et sincère. Il représente, je crois, la symbiose entre la culture sénégalaise et l’ouverture au monde. Il fait partie de ces écrivains qui jettent des ponts entre leur pays de résidence et ceux dont ils sont originaires. Bien sûr il y a la fibre nationaliste qui parle, car nous sommes très fiers qu’il soit sénégalais, qu’il soit né dans la Baol, une région agricole du Sénégal. Son prix génère beaucoup de réactions. Peut-être cela va-t-il contribuer à intéresser des jeunes qui n’ont pas l’habitude de lire, d’écrire. J’espère que les éditeurs vont s’intéresser à ces nouveaux auteurs, qu’ils vont susciter l’intérêt des maisons d’édition. »
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Alioune Badara Diop, juriste : « Ceux qui ont lu le livre savent qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre ! J’avais arrêté de lire des romans depuis six ans, mais je me suis dit que j’allais quand même donner une chance à son œuvre il y a quelque temps. Je l’ai lu en quatre jours, il m’a redonné goût au genre romanesque. Ce roman, c’est un vrai labyrinthe : du début à la fin, le lecteur est tenu en haleine, c’est la quête d’un auteur envers un autre auteur. J’ai l’habitude de souligner les livres que je lis et avec celui-ci j’avais environ 200 mots inconnus annotés. Cela démontre la richesse littéraire, le trésor qu’est ce livre. Je trouve qu’il est la preuve du génie littéraire. Certains pourront penser que cette victoire intervient dans un contexte particulier, notamment après le sommet France-Afrique, mais, pour moi, il ne s’agit que d’une coïncidence. La seule explication, c’est que ce livre est excellent et se suffit à lui-même ! Le Sénégal a produit beaucoup d’auteurs et continue de le faire, Mohamed Mbougar Sarr en est un exemple. Il faut que ce génie soit connu ! »
Aïsha Dème, consultante en ingénierie culturelle, activiste culturelle : « J’aime tellement ce roman et je croyais en lui, je n’avais aucun doute sur le fait qu’il remporterait le prix Goncourt ! C’est un roman tellement fabuleux et avec une écriture universelle. C’est aussi très mérité compte tenu du parcours de l’auteur. Mohamed Mbougar Sarr est jeune et fait preuve dans le même temps d’une grande maturité. C’est un exemple pour les jeunes auteurs sénégalais, souvent peu mis en avant, afin qu’ils voient que cela est possible. Il y a un bouillonnement, une jeunesse avec une créativité énorme, qui assume ses choix et qui tranche avec le passé où l’on pouvait avoir peur de se lancer, avec l’idée que la littérature est élitiste. Mohamed Mbougar Sarr, en gagnant ce prix, peut faire figure d’exemple, de moteur pour ces auteurs en devenir. Il faut profiter de cet événement pour mettre en avant les talents. Je suis ravie qu’on en parle dans les médias sénégalais, chose très rare habituellement. Il y a beaucoup d’agitation, de bruit autour de ce livre, même ceux qui ne s’y intéressent pas vraiment réagissent. C’est positif car cela encourage à la découverte. J’en ai beaucoup parlé autour de moi afin de rendre visible le roman, de le faire connaître. Il y avait tout un mouvement autour de ce livre car c’était impossible de ne pas dire au monde de le lire ! Il y a un grand manque de mise en avant de notre culture, de nos artistes, on ne donne pas assez sa place à la culture en Afrique, surtout au Sénégal. Nous sommes dans l’ombre, mais on va finir par y arriver !
L’accès à l’édition sur le continent et notamment au Sénégal reste difficile, cela décourage d’ailleurs beaucoup d’auteurs alors même que le potentiel est là. Avec cette distinction, un changement s’opérera, je l’espère. On est à un tournant de la littérature. Le fait que le roman soit une coédition entre une maison d’édition française et sénégalaise est aussi un signal. C’est une symbiose importante qui associe la force et la créativité. Il devrait y avoir plus d’initiatives dans ce sens. »
Senegalaise
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